Berlin: 22-24 juillet
-Wieviel für Maniküre und Pediküre?
Mon interlocutrice ne daigne pas lever les yeux de son écran de téléphone portable et montre du doigt une affichette au mur probablement élaboré par un informaticien du dimanche.
On peut y lire en lettres colorées et de tailles diverses et variées:
“Maniküre: 10 euros
Pediküre: 15 euros”
Les prix me paraissant raisonnables, j'acquiesce et elle se met à crier des syllabes à consonance asiatique dans la direction de l'arrière-boutique.
Une réponse se fait entendre et des pas lents et trainants s'approchent. Et soudain, je l'aperçois!
Là, devant moi, se tient le premier homme “esthéticien” que j'ai vu de toute ma petite vie!
Je voudrais lui dire tant de choses: “merci”, “bravo de dépasser les clichés des emplois liés au genre”, “comment ça s'est passé l'arrivée dans ce monde de la beauté?”, “Depuis quand vous faites ce métier?”, etc.
Mais, il me montre déjà le siège massant sans me décrocher un mot ou un regard.
Une fois installée, il commence sa routine pendant que je me fais torturer le dos par les boules massantes intégrées à mon fauteuil.
Les cheveux en pic, le visage ravagé par l'acné, une chaînette dorée autour du cou, une peau imberbe à l'exception d'un poil au menton extrêmement long qu'on a envie d'arracher d'un coup sec, mon esthéticien n'a pas vraiment la dégaine d'un révolutionnaire des normes sociales.
Ses mains s'activent machinalement sur mes pieds pendant qu'il tient une conversation avec sa collègue dans sa langue maternelle s'interrompant uniquement pour me donner directives du bout du doigt.
Je m'ennuie et ma seule distraction est d'essayer de comprendre ce qu'ils se disent. Un challenge compliqué par l'absence totale d'expression sur leur visage. Pas de sourire, pas de froncement de sourcil, pas d'étincelle au fond de l'oeil, rien.
Quand il pense en avoir terminé, il s'éloigne et me montre vaguement une table au fond de la salle. Je devine qu'il s'attend à ce que je le suive. Je m'exécute.
Son téléphone sonne, il prend la communication et commence son travail sur mes mains. Tac, tac, tac. Cuticules, deux trois coup de lime, une coupe rapide des peaux qui dépassent et voilà.
Enfin, j'entend le son de sa voix qui s'adresse à moi, cette fois, pour m’ordonner d'aller me laver les mains.
En revenant, je le fixe droit dans les yeux alors qu'il attaque la pose de vernis sans base et sans top coat, je voudrais juste avoir un échange humain avec la personne qui m'a râpé les peaux mortes de mes talons, est-ce trop demandé?
Mais, il ne me jette qu'un coup d'oeil en biais et retourne à sa conversation téléphonique.
Je me sens comme sur une chaîne de production taylorienne dont je suis le produit et lui, l'ouvrier.
Il m'achève quand il quitte sa place pour aller se loger dans un fauteuil massant pendant que mes ongles sèchent, aucune information sur la durée de mon agonie à venir.
Après sa pause syndicale d’une dizaine de minutes à tapoter sur son clavier, il me fait signe d’aller payer. Je suppose que pour 25 euros, je ne peux pas trop en demander…
Mais par contre, pour les 37 euros que j’ai finalement dû verser sans plus d’explication, ni raison apparente, j’estime qu’un sourire aurait pu être compris dans le service!
-.-
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