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AutorenbildMyriam Blal

Dis donc, à quoi ressemble une vraie Suissesse ?

Aktualisiert: 10. Dez. 2017


On a beau avoir le sang, la nationalité, les langues, le lieu de résidence, l’arbre généalogique, les amis, les connaissances géographiques, culturelles et politiques suisses, on doit toujours faire face à la même question :


Tu viens d’où vraiment ?


Aux yeux de mon interlocuteur, le fait d’être née à Genève, de vivre à Zurich, de parler deux des langues nationales et d’avoir de la famille suisse-allemande pure souche ne suffit pas à répondre à la question.

J’ai beau dire “suisse”, l’interrogatoire continue : “Non, mais sérieusement ?”


La moutarde me monte au nez, mais je reste stoïque : “suisse”. Le vis-à-vis rétorque “Ok, mais pas 100%?!”


Dès que j’articule le fameux “moitié suisse-allemande, moitié tunisienne”, ses yeux s’éclairent “Ah, tunisienne !”.


Voilà qu’il est content, il a pu me mettre dans une case ! Son regard se fait triomphant et le sourire fier, il m’informe qu’il le savait et que je ne pouvais pas être “complètement suisse” avec cette tête.


J’ignorais qu’il y avait des degrés établis de “suissitude”, mais comme d’habitude la seconde moitié a balayé la première d’un revers de main comme si c’était elle qui expliquait tout.


Qu’est-ce qui le dérange vraiment dans l’idée que je puisse être juste suisse ?


J’ai entendu cette question aux quatre coins du monde. Je la pardonnais à ceux qui n’avaient jamais vu la Suisse et qui s’imaginaient une terre de montagnes, de neiges éternelles et de “Heidi” gambadant entre les vaches et les brebis.


J’étais prête à admettre qu’à leurs yeux, je ne correspondais pas au cliché des habitants du pays des montres et du chocolat qu’ils s’étaient construit.


Par contre, venant de quelqu’un qui connait le vrai visage de la Suisse et de sa diversité, ça frise l’impertinence et l’ignorance. Le plus étonnant étant l’insistance des “non-suisses” à vouloir absolument pouvoir me lier à eux sur un niveau étrangement symbolique.


Lorsque je pose la question inverse : “et pourquoi ne serais-je pas suisse à 100%?”


Je reçois cette réponse incroyable :


Tu as l’air exotique !


“Exotique” fait référence à quelque chose ou quelqu’un “qui appartient à des pays étrangers et lointains” d’après le Larousse.


Je veux bien que le suisse-allemand puisse sonner “étranger et lointain” aux oreilles de la plupart des Romands, il n’en reste pas moins un des symboles forts de la Suisse.


Mais bon, étant donnée que le terme était souvent associé à ma féminité, je me suis penchée sur le concept de la “femme exotique”. Les images qui vous viennent tout de suite en tête sont probablement celles des Tahitiennes des peintures de Gaugin ou autres fantasmes lubriques.


Car l’exotisme n’a pas directement de connotation érotique, pourtant on peut en déceler quelques aspects. Ne serait-ce qu’à travers l’exemple de Joséphine Baker qui était admirer pour son air sauvage, son sourire et ses "tenues" dévêtues.


La "femme exotique" est présentée comme une femme à peine couverte, soumise à l’homme, souriante et plus proche de la nature. Ce sont des femmes que l’on dit "passionnée", "hors contrôle" et au désir sexuel démesuré.


Alors déjà la nature et moi, ça fait deux et pour ce qui en est de l'appétit sexuel, ce sont des aprioris qui frisent l'insulte!


Mais “exotique” par rapport à qui?


A la base du processus d’exotisation, on trouve d’abord le besoin de construire une Altérité. Ce besoin se fait surtout sentir après la découverte de nouveaux territoires « sauvages » et «inconnu», mais surtout peuplé d’être humains semblable à «Nous». Ce qui remets en question la définition du «Nous».


Mais l’exotisme va plus loin que la simple construction de l’Altérité, elle reconnait l’Autre comme ayant de charmantes différences qui le rendent attractif à «nos» yeux. On regarde alors l’Autre, non plus d’une manière menaçante, mais comme un être «exotique», aux us et coutumes étranges venus d’un territoire lointain. Cette notion d’exotisme garde cette distanciation entre le «Nous» et «Eux», mais elle promeut une vision pittoresque et attractive de l’Autre.


Car un objet exotique n’est pas forcément toujours très loin du point de vue de la distance réelle, mais c’est la distance symbolique qui lui amène cette connotation d’Ailleurs lointain et différent.


Alors qu’est-ce qui me différencie du cliché suisse ?


Après un rapide sondage dans mon entourage, j’ai pu listé les éléments suivants d’après eux, j’ai les cheveux bruns bouclés-ondulés, une couleur de peau légèrement brune, des formes “généreuses”, des yeux noisettes et une démarche chaloupée.


Donc, si on prend ces caractéristiques à rebrousse-poil, on a des Suissesses blondes ou rousses, à la peau blanche laiteuse, aux corps dépourvus de formes, aux yeux bleus ou verts et à la démarche coincée.


Je sais pas vous, mais je connais pas beaucoup de Suissesses qui répondent à cette description, ça se rapproche bien plus de l’idée que je me fais des femmes de l’Europe de l’Est.


Ma foi, il semblerait bien qu’on soit tous “l’exotique” de quelqu’un d’autre…


Et qu’importe mon apparence ou les clichés qui s’en dégagent, je reste une locale de Genève et Zürich, une vraie Suissesse, enrichie d’une culture tunisienne dès sa naissance, affamée de découvrir la multitude d’Ailleurs qu’offre la planète et portant avec elle tous les endroits qu’elle a déjà eu l’occasion de connaître.


-.-


Sources d’inspiration et de réflexions :

https://www.psychologytoday.com/blog/millennial-media/201310/exotic-beauty-tedx-talk

https://archive-ouverte.unige.ch/unige:3672

http://edl.revues.org/428

http://www.ted.com/talks/taiye_selasi_don_t_ask_where_i_m_from_ask_where_i_m_a_local#t-446774

http://www.ted.com/talks/hetain_patel_who_am_i_think_again

http://www.ted.com/talks/pico_iyer_where_is_home

Fléchet A. (2007), « L’exotisme comme objet d’histoire », Hypothèses, pp. 15-26.

Moura J.-M. (1998), « La littérature des lointains : histoire de l’exotisme européen au XXe siècle », Honoré Champion, Paris, pp. 19-40.

Segalen V. (1978), « Essai sur l’exotisme : une esthétique du Divers (notes) », Editions Fata Morgana, Montpellier, pp. 22-29.

Staszak J.-F. (2008), « Qu’est-ce que l’exotisme ? », Le Globe, n°148, pp. 7-30.

Staszak J.-F. (à paraître), « La construction de l’imaginaire occidental de l’Ailleurs et la fabrication des exotica – l’exemple des koi moko maoris », Herniaux D. y Lidon A (dir.), Geografia de los imaginerarios, Barcelon/Mexico, Anthropos/Universidad Autonoma Metropolitana Iztapalapa, pp. 1-40.

Todorov T. (1989), « Nous et les autres : la réflexion française sur la diversité humain », Seuil, Paris, pp. 355-362.

Urbain J.-D. (2002), « L’idiot du voyage », Petite Bibliothèque Payot, Paris, pp. 265-270 et 283-295.

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